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L'éducation est un champ fleuri de projets et d'initiatives passionnantes. Dans cette rubrique, une parole inspirante nous donne le ton et nous fait découvrir son projet et sa vision.

Petit entretien avec Nganti Towo

Par : Léonore Morgenstern

La langue (les langues), l’agriculture’agro écologie), la bienveillance, l’art et la culture comme piliers de l’éducation

Après une formation en art thérapie, une dizaine d’années d’expériences professionnelles dans les écoles et de nombreux projets de culturel, Nganti Towo décide de monter, avec d’autres, une école alternative et bienveillante dans un village à quelques heures au sud de Dakar. Forte de son expérience et de sa vision de l’éducation, le Lab revient dans ce portrait sur son parcours, son école, sa pédagogie et son savoir-faire. Une occasion de s’interroger sur la place laissée à l’apprenant dans l’école ? Comment faire de l’école le lieu de l’enfant : un lieu où il s’amuse et se dissipe autant qu’il se concentre et s’entraîne à la rigueur ?

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Tout d’abord, quel a été ton parcours jusqu’à ce projet d’école à Toubab Dialaw ?

J’ai d’abord eu beaucoup de différents désirs de vie professionnelle et cela en étant toujours touchée et questionnée par la souffrance des autres. A côté de tout ces petits bouts de chemin, j’ai commencé à faire beaucoup de danse et j’ai découvert l’art thérapie. Cela a été pour moi l’occasion d’associer mon amour pour la danse à mon désir de vouloir aider les autres : aider ceux qui sont dans la souffrance. Pour ma formation, j’ai fait beaucoup d’ateliers de dessin et de danse. Puis, petit à petit, j’ai appris à animer moi-même des ateliers. Il y a une vingtaine d’années, j’ai quitté la France pour m’installer au Sénégal : là-bas, je me suis tout de suite rapprochée des milieux de la danse en me présentant comme art thérapeute et j’ai commencé à travailler sur des projets culturels : j’ai travaillé avec des enfants des rues sur des ateliers, je me suis occupée d’un ballet de danseurs, j’ai monté une association et j’ai organisé un festival de danse avec cette association…

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Après ces expériences dans l’animation culturelle, comment as-tu commencé ton implication dans le milieu scolaire proprement dit ?

J’ai commencé à travailler dans une première école qui avait une classe qui accueille des enfants avec des handicaps : j’ai été embauché pour travailler avec cette classe. Ensuite, j’ai travaillé dans une autre école, l’EAB (l’Ecole Actuelle Bilingue de Dakar), là j’étais plutôt chargée de projet et je m’occupais de la bibliothèque. En général, quand j’arrive quelque part, on me donne quelque chose à faire, mais au final je fais toujours valoir ce que je sais faire, c’est-à-dire : administrer des projets, lancer des idées… Rapidement, j’ai proposé de prendre les enfants en difficulté en séance d’art thérapie. Petit à petit, je suis devenue coordinatrice de projets au sein de l’école. À la fin, j’étais prof d’art plastique. Je tournais dans toutes les classes tout en continuant mes séances d’art thérapie avec les élèves en difficulté ou les élèves handicapés.

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De ces expériences dans le milieu scolaire, comment naît l’envie de monter son propre projet d’école ?

C’est une envie qui est partie des besoins des gens et de leurs sollicitations pour que l’on monte ce projet sachant que j’avais cette double expérience dans l’enseignement et dans l’administration de projets et de festivals. Avec ma sœur, nous avons cette maison à Toubab Dialaw, un village au sud Dakar. Là-bas, il y a de nombreux projets qui voient le jour, dont un pôle culturel avec un théâtre pour jeunes publics monté par une amie comédienne. Les choses sont parties d’elle. Elle n’était pas contente de l’école où allaient ses propres enfants, une école où il y a, comme dans beaucoup d’écoles au Sénégal, de grandes difficultés. Il s’agit d’une connaissance de longue date qui connaît mon parcours et m’a proposé cette aventure. Nous étions plusieurs personnes à avoir envie de porter des projets pour aider la communauté et pour aider les enfants… et voilà comment est né le projet !

 

Une fois l’idée plantée, comment le projet a-t-il vu le jour?

Nous nous sommes d’abord organisés en tant qu’association. Nous avons attribué à chacun différentes fonctions comme dans tout projet associatif. Puis nous nous sommes heurtés à la difficulté de trouver un espace où nous pourrions construire notre école. Après avoir sollicité en vain la mairie du village, l’académie et même des particuliers pour nous aider à nous installer dans le village, au plus proche des habitants, nous avons finalement décidé de faire l’école en brousse et non au centre du village. Le pôle culturel Diarama nous a donné une partie de son terrain pour y installer l’école. La première année, l’école était chez eux, dans une pièce de leur maison : on avait six élèves. La deuxième année, nous avons construit une salle de classe. La troisième année qui vient de se terminer, nous avons eu deux salles de classe avec 34 élèves. Et l’année prochaine nous aurons trois salles de classe et une cinquantaine d’élèves.

 

Lorsque tu m’as présent le projet, tu as évoqué l’idée d’une « école différente », qu’entends-tu par là ? Quelle vision de l’éducation veux-tu donner à ce projet ?

Nous avons voulu nous appuyer sur quatre piliers fondamentaux pour penser l’école : la langue, l’art et la culture, l’agriculture et la bienveillance.

La langue est au cœur de notre projet car au Sénégal la langue maternelle des enfants n’est pas le français et, malgré cela, dans les écoles sénégalaises, les enseignements sont construits à partir du français, sans prendre en compte le processus d’apprentissage de cette langue en tant que seconde langue. Nous essayons de mener une réflexion là-dessus. Cette année, par exemple, j’ai une assistante sénégalaise qui elle parle bien le Wolof. J’aimerais instaurer un bilinguisme clair dans la classe, au niveau des affichages notamment. Le wolof est une langue qui se lit et qui s’écrit, il n’y a donc pas de raison de ne pas s’en servir si cela peut aider les enfants à entrer dans l’apprentissage.

Par ailleurs, nous sommes sur un pôle culturel, les classes sont à 5 mètres d’un théâtre qui accueille toute l’année une programmation artistique pour le jeune public. L’emploi du temps des enfants doit être conçu pour qu’ils bénéficient de la venue des artistes sur le pôle culturel. C’est essentiel que les enfants puissent avoir la chance de faire du cirque, d’écouter des contes, d’apprendre de la musique… Il s’agit d’une ouverture au niveau de l’imaginaire et de la poésie, d’une richesse qui entre en dialogue avec l’apprentissage.

Le troisième pilier, l’agriculture, est fondamental pour nous car nous voulons partir de notre environnement pour penser notre école. Or, nous avons la chance d’être dans un environnement rural, dans la brousse, où nous pouvons faire sortir les enfants de la classe. Cette année, nous avons donc beaucoup travaillé sur le jardinage. Au fur et à mesure, le jardinage est devenu une matière à part entière intégrée au programme. A travers cela, je veux que les enfants s’initient à l’ensemble des processus agricoles dont a besoin leur environnement et leur village.

Enfin, à travers la bienveillance, nous voulons mettre au cœur de la pédagogie et de l’apprentissage le respect de l’autre. Le respect de l’être-enfant. A l’encontre de l’idée que l’autorité du maître soit une forme de pouvoir qui s’exerce sur l’enfant, il est essentiel de travailler sur la bienveillance, notamment dans la façon de communiquer en classe. Ainsi, comment avoir un groupe classe qui ne soit pas en train de se disputer ? Qui ne se bagarre pas, ni ne s’insulte... Collaborer plutôt qu’être compétition. Il s’agit d’entre-aide. Les enfants, comme les adultes, se parlent gentillement et correctement. Ce n’est pas quelque chose d’évident en réalité, mais nous travaillons, nous formons nos enseignants, nous suivons nous même des formations pour développer une communication non-violente dans le respect de l’autre.

 

Comment abordes-tu la pédagogie au sein de l’école ? Où vas-tu chercher les méthodes qui vont permettre aux enfants d’évoluer justement dans un environnement d’apprentissage bienveillant ?

L’idée n’est pas de réinventer l’école, mais d’aller puiser par-ci, par-là, et, notamment chez des pédagogues, mais pas uniquement. Au sein de l’école, nous voulons surtout trouver ce qui est bien pour nous, pour notre environnement et notre contexte. Une de mes source d’inspiration est Maria Montessori. Elle a une approche très intéressante centrée sur l’enfant. Nous essayons de reprendre cette approche : de partir de l’enfant, de son élan, de son envie et de construire les apprentissages autour de cela.

 

D’un autre côté, tu mènes une réflexion sur les contenus. Quel programme appliquez-vous dans les classes et à partir de quel contenu ?

A la fin du CM2, les enfants au Sénégal ont un examen. Notre objectif est donc qu’ils soient près pour passer cet examen et aller en 6ème. Nous amenons donc les enfants à un certain niveau défini par l’académie. A partir de là, parler d’une école « différente », c’est avoir conscience que l’on peut faire différemment pour arriver à un même objectif. Et cela passe en premier lieu par la pédagogie. J’ai cité Maria Montessori, mais nous nous inspirons également ailleurs, en discutant avec d’autres. Le questionnement que nous avons sur les modalités d’apprentissage du français, par exemple, nous amène à échanger avec d’autres personnes qui travaillent dans cette même direction et mettent, notamment, en place des programmes pilotes.

Nous avons la volonté de nous rapprocher de gens qui ont fait des travaux sur le bilinguisme dans les écoles au Sénégal ou sur d’autres sujets qui nous concernent et qui, peut-être, peuvent nous aider à réfléchir et à savoir comment mettre en place des choses.

Le thème de notre revue ce mois-ci est l’ennui. Pour parler d’ennui, je voulais surtout t’interroger sur l’organisation du temps en classe.

 

Comment travaille-t-on pour susciter l’intérêt et maintenir l’attention ? Et comment se déroulent les temps du jeu où l’enfant apprends au détour de l’imaginaire et les temps de de l’exercice où l’enfant apprend par l’application des règles et des consignes ?

Selon moi, tout cela va ensemble. Il faut les deux. Tout d’abord, parce que ça se complète et qu’une chose amène à l’autre. Il faut les deux également parce qu’il y a des enfants qui seront plus sensibles au jeu et à la créativité alors que les autres auront besoin d’ordre, d’exercice et d’application. Il faut saupoudrer : c’est cela qui est intéressant et, en même temps, difficile. La complexité vient du fait que l’enfant a toujours besoin de rituels. Les rituels permettent de construire le cadre et l’ordre à travers lequel l’enfant va être en mesure de se repérer. Mais au sein de cet ordre, il faut qu’il y est du jeu, de l’espace, de la surprise et de la fantaisie. In fine, l’objectif sera d’amener l’enfant à être autonome en ayant conscience que l’autonomie ne peut s’épanouir que dans un cadre.

Plus concrètement, dans ma classe je travaille avec les enfants sur des activités qui vont leur permettre de s’évader avec toujours pour objectif de réintroduire de l’apprentissage à un moment donné. L’année dernière, dans le programme de CP / CE1, il y a un travail en mathématique sur la monnaie : alors, j’ai fait une boutique dans la classe! Chaque enfant avait installé sur sa table sa petite boutique. A partir de là, je construis l’activité en dialogue avec des objectifs d’apprentissage précis : il faut penser les produits à vendre, leur prix, faire les courses, marchander, calculer. Il faut également fabriquer la monnaie, faire des pièces, tracer des ronds, définir leur diamètre et leur valeur.

 

Le rôle d’un enseignant est donc également d’apporter un cadre aux enfants, mais comment faire ?

En effet, je réfléchis beaucoup sur cette question. Tout d’abord, il faut que la classe soit en ordre et qu'elle soit jolie afin que l’enfant sache se repérer. C’est à partir de cela que l’on peut laisser à l’enfant suffisamment de liberté et d’autonomie. Ensuite, en construisant les activités, il faut travailler sur un rythme et des transitions qui vont permettre de revenir naturellement à des moments de pédagogie rigoureuse. C’est le moment du retour au cahier, à la chaise et à la table.

Notre travail d’enseignant implique également d’instaurer un rythme au sein de la classe qui va permettre de construire des transitions. Pendant les activités, nous devons toujours trouver à un moment donné sur la bonne transition qui va permettre de construire une pédagogie. Selon moi, c’est comme cela que l’on parvient à apporter aux enfants à la fois rigueur et imagination.

A partir de cette transition, on revient donc au moment du cahier que j’ai évoqué plus haut. Si le cahier est bien souligné, bien organisé, qu’on leur transmet patiemment le réflexe de souligner en rouge, d’écrire en vert certaines choses, par la suite, ils vont être en mesure de retrouver d’identifier des informations et donc pouvoir rechercher des informations. Il faut concevoir que pour eux, dans leur esprit, ils doivent avoir des repères. C’est à partir de là, qu’ils vont exercer leur intelligence, rechercher des choses, les comparer, faire des connexions et arriver à reproduire des schémas à partir des éléments dont ils disposent.

Je pense que le fait qu’ils aient des moments où ils sont vraiment dans le jeu et des moments où ils sont vraiment libres les amènent à être plus capable après de prendre un temps pour s’asseoir et de passer par la contrainte.

Et puis surtout on leur explique : « d’accord, voilà, on a joué, c’était super et tout ça... Mais maintenant on doit aussi aller sur le cahier, écrire correctement ! Vous comptez quatre carreaux. Le cahier doit être organisé et surtout c’est pour vous rendre service à vous ! ».

L’enjeu autour de la rigueur et l’ordre, c’est que tous les enfants ne le vivent pas de la même façon.

 

Comment appréhender ces différences entre les enfants et comment faire pour réduire les difficultés de ceux qui ont le plus de mal ?

Malgré les différences entre les enfants, la réponse est la même pour tous : il faut répéter. Il faut dire et redire. L’école est un endroit où l’on répète beaucoup les choses, pour compter, pour s’appliquer, pour écrire correctement, pour attirer l’attention sur les détails. L’origine des difficultés de l’enfant peut être diverse, mais le besoin d’entendre plusieurs fois, d’essayer plusieurs fois et de comprendre plusieurs est toujours essentiel.

S’ennuyer en classe lorsqu’on est enfant, c’est aussi faire face à des sujets très abstraits, comme les nombres relatifs en maths ou encore les COD en grammaire. Ces notions indispensables pour compter ou pour écrire apparaissent abstraites pour l’esprit pratique d’un enfant. Alors comment fixer leur attention sur ses sujets ?

Sur cette question, je m’inspire souvent des travaux de Maria Montessorie qui mobilise les sens et notamment le toucher. Elle utilise du matériel et suscite l’attention de l’enfant par la manipulation de ce matériel. Dans notre école, nous avons eu une éducatrice Montessorie et dans ses leçons tout commence par le toucher. Sur une leçon de grammaire, par exemple, il s’agira de construire physiquement la phrase avec des assiettes et des flèches qui permettent à l’enfant de s’entraîner à placer l’article. Dans un premier temps, la compréhension passe par le corps, l’expérience pratique, puis, bien sûr, on écrit la leçon : le retour au cahier. La manipulation du matériel amène l’enfant à l’autonomie, il réalise lui-même la démonstration, ensuite on l’interroge, on l’amène à réfléchir sur ce qu’il a fait.

Dans ma pratique de l’enseignement, j’essaie donc de donner du sens aux leçons par des voies détournées mais qui, pour l’enfant, vont lui permettre de mieux percevoir la finalité et les implications d’une règle de grammaire ou de calcul.

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S’ennuyer, c’est aussi ne rien faire : alors qu’est-ce que font les enfants quand ils ne font rien ?

De mon point de vue, lorsque l’on dit qu’un enfant ne fait rien, c’est toujours un peu étrange. En réalité, je n’ai pas souvent vu des enfants ne rien faire et c’est d’ailleurs ce que je trouve incroyable chez les enfants : ils ont toujours envie de faire quelque chose. Cependant, il y a des enfants qui sont dans la rêverie. Les enfants rêveurs sont toujours un peu compliqué pour un enseignant car à l’école il faut faire des choses. On est toujours un peu poussé. Alors que ces enfants là ont besoin de respirer, de faire ce qu’ils ont envie de faire et de se perdre dans leurs pensées. Je ne dirais donc pas que l’enfant n’a envie de rien faire, et au contraire, je pense qu’il faut lui demander ce qu’il veut faire et qu’il finira toujours par répondre quelque chose.

On dit aussi souvent que les enfants ne veulent « rien faire » quand ils ne veulent pas faire ce que l’on veut leur faire faire. Parfois, j’exploite ces moments en les amenant dehors. Alors, il faut être créatif en tant qu’enseignant et garder quelque part dans un coin de la tête l’apprentissage. Dans notre école, nous avons la chance de ne pas être enfermés dans une classe en béton au milieu d’une ville. Quand on sort, il y a plein de choses à voir et à faire. On s’inspire de tout cela pour que l’enfant aime venir à l’école. L’école est le lieu où l’enfant doit être heureux et respecté, où il s’amuse et où il apprend.

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« Je me suis fatiguée à préparer la leçon, visiblement ça ne vous intéresse pas ! Donc qu’est-ce que vous voulez faire ? »

 

Tu as également travaillé avec des adultes en animant des groupes autour de projet culturel ou à travers l’art thérapie, quelles différences y a-t-il entre les adultes et les enfants dans la façon dont on parvient à susciter leur attention et leur intérêt ?

Avec les adultes, j’ai appris à proposer des dispositifs d’apprentissage bien étudiés. L’enfant est davantage dans la spontanéité et dans le jeu. C’est le propre de l’enfant d’être dans l’inattendu. C’est un être qui est en train de se construire avec un monde de potentialités. Tout peut se faire parce que l’enfant joue, il a son univers. Mais l’art thérapie que je pratiquais avec les adultes avait pour objectif, justement, de remettre les adultes dans le jeu. Si l’adulte s’ennuie, il le fait différemment, l’enfant s’ennuie parce qu’il a besoin de jouer, mais l’adulte, ne sais plus jouer par lui-même comme le fait un enfant. Le travail pédagogique et la question de l’ennui se croise donc de façon différente dans le monde des enfants et dans le monde des adultes.

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Pour plus d'informations sur le projet d'école et sur leur levée de fonds: https://www.helloasso.com/associations/djarama-france/collectes/un-bureau-pour-l-ecole-de-dialow

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