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Partir d'une situation concrète pour explorer toutes les facettes d'un problème. Dans cette rubrique, expériences personnelles et travail de recherche ouvrent la réflexion.

Le temps des devoirs

Par : Léonore Morgenstern

Au point de départ de ce reportage, il y a un enfant, des parents, des devoirs, une ancienne baby sitter, de l’ennui, de la distraction, une volonté d’aider, la question de l’attention et de l’intelligence, la nécessité d’avancer, des programmes, des profs…

 

Benjamin est en 5ème, il a 11 ans et à l’école il a du mal. D’où vient ce mal ? Et Comment pourrait-il avancer plus sereinement dans sa scolarité ?

 

Ces questions, les parents de Benjamin se les posent et les posent aux enseignants. Ils manifestent leurs inquiétudes, leurs difficultés à entraîner Benjamin au même rythme que les autres élèves. L’enfant “prend du retard” et ce retard l’invite à se déconnecter toujours plus de ce qui se passe en classe. Résultat : une forme d’ennui et de désintérêt relatif pour les apprentissages.

Dans le même temps, l’institution scolaire mobilise les parents : leur demande de trouver dans les temps extra-scolaires des moyens de motiver l’enfant.

 

Voilà une situation classique où l’enfant est intelligent, éveillé et curieux du monde, mais en classe il est inattentif et souvent désintéressé par ce qui s’y déroule. Il voudrait plutôt rêver, jouer, discuter… Tout cela l’ennuie un peu.

En soi : rien de grave, juste un enfant distrait qui, au fur et à mesure, est emporté par l’inattention et l’étourderie ; mais c’est ainsi que se cristallisent les difficultés scolaires. Le désintérêt et l’ennui scolaire vont croissant, ils deviennent un mode de fonctionnement, une forme de passivité face à l’apprentissage.

 

Dans tout ça, les devoirs s’imposent à la fois comme un problème et comme une solution. Problème car un enfant qui n’est pas motivé en classe, ne l’est que rarement plus à la maison. Des études montrent que les enfants en difficultés s'ennuient la plupart du temps en faisant leurs devoirs. Difficile donc d’y voir une activité qui résoudrait le manque de motivation… (1)

En revanche, c’est une solution au retard en classe car c’est un moyen de prendre du temps après l’école. Pour cette raison, les devoirs sont un moment important autour duquel se cristallise beaucoup d’attention.

 

Au milieu, il y a moi, ancienne baby sitter et membre du Lab de l’éducation. Il y a mes souvenirs d’école aussi et une envie de comprendre pourquoi on a parfois tant de mal à l’école.

 

Il y a un mois donc, les parents de Benjamin me sollicitent de nouveau. Cette fois pour faire de l’aide aux devoirs. Et ça tombe bien, j’ai un peu de temps devant moi, je m’intéresse de plus en plus à l’éducation. L’idée : aider Benjamin à démarrer l’année.

 

Quel étrange rituel que les devoirs scolaires ! On se souvient tous de cette envie pressante de les terminer pour faire autre chose : aller jouer, pour se laisser aller à notre imagination. Les anciens mauvaises élèves en auront un souvenir plus marquant, plus douloureux aussi. Daniel Pennac revient sur cette douleur dans un ouvrage sur ces errances scolaires: Chagrins d’école (2). En retraçant son parcours de “cancre”, il décrit la difficulté qu’il a éprouvée à se remémorer ces moments afin d’en faire un récit :

Revenir sur cette enfance n'a pas été une promenade de plaisir. Il m'a fallu quatre ans pour écrire ce livre, qui semblera peut-être du "Pennac" souriant, avec des anecdotes amusantes, etc.

Mais de sentir remonter en moi ces journées interminables, les cours où je ne comprenais rien, les leçons que je ne retenais pas, les devoirs sur lesquels je séchais, non, ça n'a pas été drôle". 

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Ennuyeux pour beaucoup, naturels pour tant d’autres, les devoirs sont Aussi un lien entre la famille, l’école et l’élève.

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En sciences de l’éducation, les recherches sur les devoirs scolaires pointent l’importance qu’ils jouent dans l’évolution de la relation famille-école (1). Comme le carnet de correspondance, les bulletins scolaires… les devoirs sont un média scolaire. L’école considère comme essentielle l’implication des familles dans la scolarité de leur enfant et les devoirs sont un outil pour cela.

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Néanmoins, les enfants ne sont donc pas égaux face aux devoirs et par conséquent les parents… et les babysitters non-plus. Ces élèves qui décrochent donc, comme Benjamin, il faut leur accorder une attention particulière : il faut les aider à se concentrer.

Il y a les bons élèves et les devoirs. J’en ai gardé certains. Ils vont dans leur chambre, les font tranquillement, puis récitent leurs leçons et leurs poésies par cœur. Mais avec d’autres, il s’agit plus de rester derrière eux et de vérifier toutes les quelques minutes que leurs regards n’a pas décroché.

 

Les parents non plus ne sont pas tous les mêmes, certains sont patients et pédagogues avec du temps à disposition, d’autres ne disposent pas des mêmes qualités. En réalité, les devoirs peuvent être un moment de stress pour toute la famille si les parents ont du mal à aider les enfants.

En outre, l’échec scolaire n’est pas seulement celui d’un enfant, mais aussi celui de sa famille, celui du professeur et celui de l’institution scolaire. Cette tension collective autour des difficultés scolaires est très bien décrite par Daniel Pennac dans son interview A voix nu sur France Culture (3).

 

Les devoirs scolaires sont également un sujet de débat public et un flou juridique. Ils ont fait l’objet de nombreuses interdictions, sans que l’on sache réellement ce qu’il en est... En 2008, un rapport est rendu au Ministère de l’Education Nationale: “Le travail des élèves en dehors de la classe, état des lieux et conditions d’efficacité” (4). Le rapport revient sur l’historique des interdictions liées aux travaux réalisés en dehors des temps scolaires et pointe un flou juridique d’une définition des devoirs difficile à clarifier. Malgré une interdiction qui existe réellement : “[...] l’examen des textes laisse entrevoir des réserves : l’interdiction de travailler à la maison n’est jamais totale (pas plus que celle de travailler à l’étude quand celle-ci se situe en dehors du temps scolaire). Il y a toujours lieu d’apprendre des leçons, parfois de se livrer à d’autres activités scolaires.”.

 

Ces interdictions sont liées à la volonté de ne pas accabler les enfants de travail scolaire. Mais les devoirs sont un moment de répétition et la répétition est un aspect essentiel du processus d’apprentissage et d’acquisition des savoirs.

 

L’enjeu : ne pas surcharger ou accabler les enfants, tout en leur donnant des occasions nécessaires à l’apprentissage de s'entraîner et de répéter pour mieux fixer les connaissances, pour vérifier la bonne compréhension et pour appliquer leurs acquis dans différentes situations.

 

Les devoirs : leurs bienfaits... techniques et méthodes pour accompagner l’apprentissage.

 

Nous sommes tous conscients qu’il ne sert à rien de surcharger les élèves, que chacun à son rythme. Mais pour Benjamin, à plusieurs reprises lorsque je travaillais avec lui, les devoirs étaient une occasion de rattraper les contenus manqués en classe. C’était aussi et surtout un occasion de répéter les choses autant de fois que nécessaire.

 

Lars Svendsen nous explique qu’il y a trois types d’ennui (5), dont un ennui de répétition, ce sentiment de lassitude face à une action que l’on a déjà menée ou que l’on mène régulièrement voire quotidiennement. Mais le processus d’apprentissage nécessite de la répétition et les passionnés d’éducation qui nous liront ne pourront pas dire que l’apprentissage est ennuyeux. J’en conclue qu’il faut donner envie d’apprendre, en partant de cette envie, il n’y a plus tant d’enjeu autour de la répétition, elle est nécessaire et naturelle.

 

Il faut tout d’abord prêter attention aux conditions d’apprentissage, donner à l’enfant les moyens de se concentrer. Au gré de mes recherches sur les méthodes pédagogiques autour de l’aide aux devoirs, j’ai trouvé des conseils pour créer autour du moment des devoirs un espace de concentration (6) : faire des sessions de 15 minutes de concentration, être dans une pièce calme, avoir une table de travail face au mur pour éviter les distractions visuelles…

 

Aider l’enfant à se concentrer, à s’appliquer de façon autonome est essentiel. Néanmoins, ce qui m’a le plus intriguer, c’est la façon dont l’objectif que poursuit l’enfant en difficulté influence la façon dont il mène ces devoirs de bout en bout.

Benjamin veut améliorer ses résultats scolaires, voilà son objectif, voilà ce en quoi il veut que je l’aide. Mais le résultat a peu à voir avec l’apprentissage.

L’apprentissage est un processus par lequel on applique son attention sur son objet et on exerce là-dessus son intelligence, sa capacité à réfléchir et à raisonner.

 

Des ouvrages comme Apprendre à apprendre (7) de André Giordan et Jérôme Saltet creuse le sujet en donnant des méthodes et des exemples. 

 

Le problème c’est qu’obtenir la bonne réponse n’a pas de sens si l’enfant n’intègre pas l’idée qu’il doit entrer dans un processus d’apprentissage. L’obsession de la bonne réponse et le système de notation qui oriente tous les regards vers le résultat est contre-productif dans l’esprit de l’enfant.

 

En travaillant avec Benjamin, j’ai compris à quel point éviter la question de l’apprentissage et de son parcours était problématique. Il pouvait perdre un temps fou à essayer de deviner les réponses, en lisant dans mon regard, en essayant toutes les combinaisons possibles et cela simplement par bonne volonté. Le plus important est donc de l’aider à déplacer sa volonté. Passer d’une volonté orientée vers le résultat à une volonté orientée vers l’attention et la réflexion.

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Pour conclure, les devoirs peuvent être une occasion de prendre du temps avec l'enfant. Une occasion de travailler avec lui sur les méthodes d'apprentissage et de concentration. Un moment pour apprendre dans le calme avec un tiers neutre. 

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Sources 

(1) Chouinard, R., Archambault, J. & Rheault, A. (2006). Les devoirs, corvée inutile ou élément essentiel de la réussite scolaire ?. Revue des sciences de l’éducation, 32(2), 307–324

(2) Pennac, D., Chagrin d'école, Gallimard, 2007

(3) A voix nu, "Daniel Pennac, Au bonheur des mots (2) : Un cancre devenu prof", Emission radiophonique, diffusée le 3 janvier 2017

(4) BOUYSSE, V., SAINT-MARC, C., RICHON, H., CLAUS, P., Rapport : "Le travail des élèves en dehors de la classe État des lieux et conditions d’efficacité", 2008

(5) Svendsen, L., Petite philosophie de l'ennui, Fayard, 2003

(6) http://www.academie-en-ligne.fr/documents/accompagnement.pdf

(7) Giordan, A., et Saltet, J., Apprendre à apprendre, Librio, 2015

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